Les Fruits d’une Vie
Quelques mots de la réalisatrice, Fanny CESTIER
Lorsque mon père m’a annoncé qu’il prévoyait de prendre sa retraite à la fin de l’année suivante, j’ai senti que quelque chose de singulier allait se dérouler sous mes yeux et qu’il y aurait potentiellement matière à en faire une histoire à raconter : le chemin qu’il allait devoir parcourir pour céder son exploitation. Une histoire au long cours avec des perspectives et une issue totalement inconnues, c’est aussi cela qui m’a motivée.
Je suis partie du postulat que pour mon père il ne s’agissait pas là d’une simple vente. Ayant toujours travaillé en famille et étant le dernier de sa fratrie (et sans relève !), la fin de son exercice allait boucler un pan de l’histoire familiale ; c’est sur lui que reposait le poids de la transmission. Il souhaitait faire perpétuer une entreprise à taille humaine, et si possible, permettre l’installation d’un jeune agriculteur. Il portait en lui une profonde envie de transmettre son savoir. Et surtout, il avait des attentes très fortes vis-à-vis du profil du futur repreneur, presqu’un portrait-robot de cet idéal !
Mais au-delà de l’empathie qu’une fille peut avoir pour son père, il me semblait qu’il y avait-là quelque chose de plus universel à raconter : l’histoire d’un homme en fin de carrière qui fera tout ce qu’il peut pour défendre et préserver ce qui a donné du sens à sa vie.
Le film repose sur une une tension que je trouvais intéressante à exploiter : l’impatience pour lui d’aboutir, usé par le rythme du travail et le stress de cette transmission, de devoir trouver une solution presque coûte que coûte puisque pris par le temps… Mais en contrepoint l’appréhension de devoir lâcher, et l’inquiétude oppressante de vendre dans de mauvaises conditions ou à quelqu’un qu’il n’aurait pas choisi.
Après les espoirs utopiques, je me doutais que mon père risquait de se frotter à un sentiment d’échec avant de pouvoir, enfin, accepter que l’histoire de son exploitation continue sans lui. Un tel détachement ne s’opère pas du jour au lendemain, il est le fruit d’un processus, sinueux et complexe.
C’est précisément ce cheminement affectif que je souhaitais explorer avec ce film, à travers le regard de celui qui cède. Je voulais suivre de manière sensible la trajectoire de ce personnage à chaque étape d’un tournant de sa vie, presque comme si l’on était dans sa tête.
Je trouve que l’agriculture est très souvent abordée dans les médias, mais assez peu sous un aspect purement humain, et surtout sous un angle positif ! Je souhaitais montrer que derrière des sujets de société brûlants ou polémiques, il y a des humains, des professionnels qui aiment leur métier, qui le font avec passion et conscience, et qui ont à cœur de transmettre leur savoir-faire et leur patrimoine.
Finalement dans ce film, on parle davantage de transmission que d’arboriculture, même s’il permet en creux de faire découvrir un secteur sous-représenté – contrairement à l’élevage par exemple -, lorsque l’on évoque les difficultés et problématiques agricoles.
Le travail de l’image a fait l’objet d’une attention particulière, par le choix des cadres, les jeux de lumière et le fait de tout filmer sur pied (hormis trois séquences avec machinerie). Le fond et la forme sont pour moi indissociables. Et avec Simon Gerland, le chef opérateur, nous souhaitions prendre le temps de réfléchir à ce que l’on voulait filmer, pourquoi et comment, pour donner un sens à chaque plan – autant que possible en documentaire, évidemment !
Ici il est question d’agriculture, et le 2.35, tout comme les cadres composés, permettent d’inscrire les personnages dans leur environnement. C’était une façon aussi pour moi de garder une forme de distanciation vis-à-vis d’eux.
Ce choix de cadre très posé (très contraignant et très difficile à tenir en toutes situations…) nécessite forcément de prendre quelques risques et de tourner beaucoup pour avoir un maximum de souplesse au montage et tirer ainsi le meilleur de la matière.
J’avais envie de sublimer un lieu, des ambiances, un métier aussi…
C’est tout simplement l’expression d’un regard, d’une rigueur qui reflète aussi l’attachement du personnage pour son exploitation et le goût du travail bien fait. Pour moi c’est comme en fiction, l’image participe à la création d’un univers diégétique, au même titre que la musique par exemple, et rejoint le travail que nous avons fait avec le compositeur Romain Trouillet. Nous avons cherché une couleur musicale douce, aérienne, mélancolique et enveloppante, un peu magique parfois, aussi bien par le choix des timbres que l’écriture.
Je voulais que tout cela participe à raconter cette histoire un peu à la façon d’un conte où le réalisme se mêle parfois à la poésie et l’imaginaire.